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La guerre des Boers et le pacifisme québécois

 


La province de Québec fait barrage à ce monde de 1899 gagné par la fièvre impérialiste (Siegfried, 1906). Société globale, autoréférente, elle semble aux uns un « pays d’avant-garde dans la conquête des libertés canadiennes (Groulx, 1952, p. 131) ». Elle paraît isolationniste aux autres qui inventent une « tradition antimilitariste (Mongeau, 1993, p. 83-84) » ou qui forgent un peu plus sa réputation de peuple pacifique, voire de pacifiste (Robitaille, 2003, p. 56).

Pour le chroniqueur Gilles Proulx, les Canadiens français s’affirment comme non-violents à partir de la guerre des Boers. L'échec des patriotes en 1837-1838 leur interdit le recours aux armes. Ils se mettent sous la protection de la Grande-Bretagne, puis des États-Unis. Ils en aiment le confort. Or, le pacifisme a un coût. Il réduirait encore de nos jours les Québécois à la « puérilité », au refus d'une pleine souveraineté :

[L]e Canadien français « cliché » de la fin du XIXe siècle, bon catholique et soumis, est le contraire de l’habitant fougueux de la Nouvelle-France qui désespérait l’Église par son goût de la liberté. Il faut dire que, maintenant, les armes, tout comme l’argent, ont changé de mains. On l’a vu en parlant de la guerre de 1812, prendre les armes n’a pas été payant; et encore moins en 1837.

Le clergé québécois n’encourage pas le service militaire, sauf bien sûr si c’est une milice pour aller aider le pape en Italie. Entrer dans l’armée, c’est s’assimiler ou du moins accepter que l’Anglais mène[.] […] Bref, après les patriotes, nous devenons, par défaut, des « pacifistes ». Je dis bien par défaut.

Les bondieuseries[1] mièvres que l’on utilisait pour réprimer l’instinct combattif du Canadien français ont quand même si bien opéré sur la psyché collective que même aujourd’hui, on continue de fantasmer les Québécois comme un peuple de « gentils » préconisant, plus qu’ailleurs, la non-violence. En réalité, de nos jours, on s’est tout bonnement déchargé du fardeau des armes sur le voisin du Sud. « Aux États-Unis de nous protéger! » répétons-nous. C’est confortable, moralement, de renoncer à la souveraineté; lorsque j’entends des souverainistes québécois – il y en a encore – dire qu’un Québec indépendant n’aurait pas d’armée, je fulmine. Quelle ignorance crasse! Ce « pacifisme » est un symptôme de la Conquête […] [N]ous sommes ce peuple désarmé par la Conquête qui devient « fier » d’être désarmé, donc fier d’être conquis. Quel pire vice pour un colonisé que d’en être fier?

Comment devenir un pays avec une mentalité de provincial? Province ne vient-il pas du latin pro victis qui signifie « territoire des vaincus ». Ainsi, jadis seuls les nobles avaient le droit de manier l’épée pour affirmer leur statut supérieur : non seulement ils défendaient leurs vassaux contre l’ennemi, mais ils pouvaient aussi les dominer par la force. Le « pacifisme québécois » fleur bleue nous confine à la puérilité (2019, p. 65-66).

À défaut de mener à bien ses luttes, le Canadien français s’élève contre les guerres de l’Empire britannique. Il se construit même en opposition à la « chicane ». Mais, fuir le conflit – surtout l’usage de la force – revient à se sortir du politique et de l’histoire.

[I]l y a un détour à ce triste pacifisme : le fait que l’on refuse de prendre les armes, parce que ce n’est plus pour soi que l’on va combattre. Mettez-vous à la place du Canadien du XIXe ou du début du XXe siècle à qui l’on dit : « L’Angleterre est menacée dans une partie du globe où l’on conteste son empire colonial. Prends les armes et va te faire tuer pour elle! Et les officiers te hurleront des ordres en anglais! » Avez-vous envie de vous battre dans ces conditions? La lâcheté, alors, c’est de prendre les armes! Et ce qui est courageux, ce qui est « nationaliste », c’est de dire non. C’est paradoxal et pervers puisque, à partir de la guerre des Boers, la nation québécoise en train de naître s’affirme en refusant de prendre les armes qu’on va laisser aux vrais pays (Proulx, 2019, p. 66).


Sources:

Groulx, Lionel. 1952. Le régime britannique au Canada (2e partie). T. 4 de Histoire du Canada français depuis la découverte. Montréal : L’Action nationale, 273 p.

Mongeau, Serge. 1993. « La tradition antimilitariste au Québec ». Dans Pour un pays sans armée. Ou comment assurer la sécurité nationale sans armée, sous la dir. de Serge Mongeau, p. 81-89. Montréal : Écosociété. ISBN : 978-2-921561-00-6.

Proulx, Gilles, et Louis-Philippe Messier. 2019. La mémoire qu’on vous a volée. De 1760 à nos jours. Préf. de Gilles Laporte. Montréal : Éditions du Journal, 242 p. ISBN : 9782897610807.

Robitaille, Antoine. 2003. « Les Québécois, pacifiques ou pacifistes? ». Dans L’annuaire du Québec 2004. Toute l’année politique, sociale, économique et culturelle, 9e éd. (p. 53-64). Montréal : Fides. ISBN : 2-7621-2496-4. Récupéré de http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/adq/src/2004/468498_2004_005_005.pdf (Page consultée le 30 août 2020).

Siegfried, André. 1906. Le Canada. Les deux races. Problèmes politiques contemporains. Paris : Armand Colin, 415 p. http://dx.doi.org/doi:10.1522/030295916




      [1] Décidément, Gilles Proulx est anticlérical.

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